Martin Bureau au FIMAV : peindre sur les murs du son

Martin Bureau au FIMAV : peindre sur les murs du son

Martin Bureau au FIMAV : peindre sur les murs du son

Martin Bureau au FIMAV : Peindre sur les murs du son

par Luc Drapeau

Inspiré par la multitude des propositions offertes dans le cadre de la 35e édition du Festival International de Musique Actuelle de Victoriaville (FIMAV) (spectacles en salle, installations sonores dans l’espace public, présentation de courts métrages expérimentaux), nous avons décidé d’aborder celle-ci sous l’angle des arts visuels. Pour ce faire, nous avons rencontré Martin Bureau, artiste en résidence, qui incarne à sa manière l’esprit de ce festival. Son exposition Plaisirs non coupables en terres troubles, qui se tiendra au colisée A, présentera une sélection d’œuvres réalisées entre 2006 et 2018 explorant l’anthropocène et les conflits géopolitiques contemporains.

En terrain connu

L’artiste multidisciplinaire qui, depuis une vingtaine d’années, parcourt le monde à la faveur d’expositions solos et collectives et pour réaliser des documentaires tels son dernier, Les murs du désordre, qui l’a amené au pied des «murs de la paix» d’Irlande du Nord, du mur israélo-palestinien et de celui qui prend forme à la frontière mexicaine, n’est nullement dépaysé par la formule proposée par le festival. « Ça fait 20 ans que je le fréquente sporadiquement. J’ai vu John Zorn et René Lussier, des artistes qui m’inspirent. J’ai vu passer plein d’expositions. Que ce soit mon tour, c’est une belle fleur, un bel hommage. Je vois aussi ma participation comme l’occasion de découvrir de nouveaux talents », admet celui qui a un penchant pour les propositions contrastées, mariant dans le meilleur des mondes la rigueur des musiques savantes et la fureur de vivre de l’esprit punk, dont le FIMAV détient le secret.

Un pinceau « plogué » dans une palette d’effets

«J’ai hâte d’être là et de pouvoir profiter de l’ambiance des spectacles tout en jetant un coup d’oeil à mes oeuvres accrochées sur les murs », s’enthousiaste le peintre chez qui la musique prend une place non négligeable. Très lié au milieu de la musique au Québec, Martin Bureau a réalisé les pochettes de nombreux groupes de musiciens québécois au cours des années allant de Tire le coyote à Galaxie, en passant par le catalogue complet de Fred Fortin et de Gros mené. Alors que je porte à son attention le lien de parenté que je perçois entre son œuvre et la musique de Godspeed you ! Black Emperor (GY!BE), l’artiste m’avoue qu’il serait très heureux si le groupe montréalais le contactait pour son prochain album : «Godspeed m’accompagne quand je travaille, confie le peintre en soulignant au passage le travail du cinéaste Karl Lemieux qui, en plus de s’occuper de la programmation des courts-métrages du FIMAV, collabore fréquemment avec GY!BE. C’est évident qu’il y a un parallèle à faire entre la distorsion, les ambiances dichotomiques, le coté abrasif de leur musique et les images que je crée. Un ré ou un si passé dans des filtres et des effets donne une densité qu’on n’aurait pas autrement. J’envisage l’image de la même manière.»    

Quand un univers à la Orwell rencontre un ciel à la Turner

Pour exemple, «la persistance d’un battement d’ailes , une toile multiple réalisée en 2008-2009 dans la série Le fleuve empaillé, où oiseaux et avions vont d’un commun élan s’écraser les uns sur les autres dans une funeste collision démontre bien l’inégal rapport de force entre nos technologies et les écosystèmes qui peinent à en supporter les impacts. Sous le vernis tragique de cet univers perdu d’avance, en filigrane, une lumière jaillit et installe une densité indicible qui nous laisse à la fois catastrophé et émerveillé. Martin Bureau étant passé maître dans l’art de réunir dans une seule et même image des propositions en apparence dichotomiques, ses expositions proposent autant de points de vue critiques sonnant l’alarme sur un monde entraîné à sa perte par ses nombreux paradoxes. Qu’ils évoquent des divertissements à grand déploiement dans des cloisonnements ayant des airs de fin du monde ou mettent en scène des activités de loisir pratiquées dans des enclaves économiques déshumanisantes, les tableaux de Martin Bureau piquent notre curiosité et sont autant d’invitations à réfléchir sur notre condition.

Anthropocène

Après Check Engine (2016), qui proposait une réflexion sur les récentes crises migratoires, Les cycles d’essorage, une exposition présentée à la Galerie 3 en mars passé, amorçait le projet Anthropocène que l’artiste promet de prolonger sous peu : «J’ai plusieurs maquettes préparées qui attendent juste d’être réalisées», nous confie celui qui prévoit ajouter une quinzaine d’oeuvres à sa prochaine exposition qui en compte déjà 17. Cette époque géologique actuelle dans laquelle les humains sont la cause première de changements planétaires permanents lui fournit un terreau fertile pour poursuivre un travail pictural où les majestueuses constructions de l’homme côtoient sa chute imminente. Les oeuvres de ce cycle sont fort évocatrices, montrant d’immenses manèges dans des espaces conquis par le feu ou la glace désertés par l’homme ou dans des endroits hostiles où l’être humain accomplit peut-être son dernier parcours dans le dérèglement des saisons. Cela n’est pas sans établir un certain parallèle avec les mots de Franz J. Broswimmer qui affirmait, dans son livre Écocide, une brève histoire de l’extinction en masse des espèces, que « Plus que toute autre situation écologique difficile, la crise moderne d’extinction en masse est un indicateur de la désynchronisation de la vie sur notre planète ».

Après le FIMAV, avant de redémarrer le projet Anthropocène, Martin Bureau proposera fin mai début juin à Québec L’embâcle des sans-soucis, une installation présentée par le Carrefour international de théâtre dans le cadre du grand spectacle déambulatoire Où tu vas quand tu dors en marchant…? Une belle occasion de rencontrer l’artiste et son oeuvre en dialogue avec l’espace public.

http://www.martinbureau.com

https://www.fimav.qc.ca/fr/exposition

http://www.lagalerie3.com/

https://www.carrefourtheatre.qc.ca/programmation/ou-tu-vas-quand-tu-dors-en-marchant/

Encart

À travers une programmation proposant des artistes et des formations en provenance des quatre coins du monde en salle, des installations sonores qui résonneront dans l’espace public et des présentations de courts-métrages expérimentaux qui sustenteront les plus aventureux d’entre nous, le FIMAV s’assure, sans complaisance, de satisfaire un large éventail intérêts.

Martin Bureau au FIMAV : peindre sur les murs du son

Groovy Aardvark porte un toast à la musique d’ici

https://www.gazettemauricie.com/groovy-aardvark-porte-un-toast-a-la-musique-dici/

Boisson d’Avril

Groovy Aardvark porte un toast à la musique d’ici

par Luc Drapeau + encart

Le 12 avril prochain, la microbrasserie, boutique et salon Le trou du diable accueille Groovy Aaardvark pour souligner le cinquième anniversaire de la bien houblon-née Boisson d’avril. Nous en avons profité pour discuter avec Vincent Peake, chanteur et bassiste de la formation depuis 1986.

Boisson d’avril

Devenue bière après avoir été l’un des titres les plus connus du quatuor Longueillois sur l’album Vacuum paru vingt ans plus tôt, cette lager collaborative, comme on se plait à la nommer, exprime admirablement bien le cheminement des arômes qui l’ont constituée autant que les styles et mélanges musicaux que le groupe a su distiller sur 33 ans d’existence. Le brassage des énergies traditionnel du duo Lambert/Bordeleau de la Bottine souriante couplé à ces racines punk hardcore métal satinées de prog de Groovy Aardvark a su créer une véritable alchimie qui perdure dans le temps : «Martin Dupuis, mon guitariste, l’a tellement bien arrangée qu’elle a eu un succès automatique. Ça aurait été une erreur de ne pas la mettre sur l’album», déclare Vincent, alléguant tout le chemin parcouru par cette chanson et les échos qu’elle reçoit encore.

Retrouver son joual

Pesante autant qu’imposante dans son propos et dans sa rythmique, la musique de Groovy Aardvark a toujours su être techniquement habile, subtile et étoffée dans l’exécution de ses mélodies. Construisant son style à partir d’influences qui, pour la plupart, ne trouvaient pas de comparables dans la francophonie du milieu des années 80, le mammifère musical a su se réinventer en moulant ses empreintes sur sa réalité et en lui donnant les couleurs de sa langue : un joual dynamique inspiré de Charlebois.

Des nouvelles et des échos en provenance d’ailleurs

« Faut pas se décourager de chanter dans sa langue maternelle, alors qu’on pourrait être tenté de faire le contraire pour rejoindre le marché dominant. Faut pas empêcher notre unicité de rayonner à l’international. Trois français dans trois villes différentes avaient des fanzines consacrés uniquement à la musique québécoise. Les Français étaient flabbergastés par le talent qu’on trouve au Québec. Ça prend malheureusement quelqu’un d’ailleurs pour nous le dire », affirme convaincu Vincent Peake de retour au Québec après une tournée de 18 dates en Europe (France, Belgique, Allemagne) avec le groupe Grimskunk. « Les Allemands, eux, ce qu’ils aimaient le plus, c’étaient les chansons en français. Et moi, de mon coté, je suis revenu avec plein de vinyles de groupes allemands. J’vais toujours me rappeler de mon voyage. J’aime la langue, la culture et comment ça sonne. Quand on veut comprendre, la moindre des choses à faire c’est de faire des recherches. Sortir de ses habitudes »

« Un équilibre comparable à un yéti sur un unicycle »

Cette phrase savoureuse trouvée sur le site du micro-brasseur pour décrire la bière Boisson d’avril est tout aussi efficace pour expliquer le parcours de Groovy Aardvark. Si a l’instar du Yéti, le groupe a pris du temps a être reconnu, il n’en demeure pas moins que ce géant qui nous représente ici et ailleurs, doit continuer de pédaler fort sur des infrastructures culturelles insuffisante pour assurer sa survie, et ce, malgré de nombreux succès. « Le pourcentage de bon band par rapport à la population qu’on a ici est incroyable. On accote n’importe qui. Il va toujours il y avoir du talent, mais ça prendrait du public pour encourager, acheter des disques et aller voir des concerts locaux. C’est vital », revendique le musicien qui ne tarit pas d’éloges pour cette scène qui l’a vu naître et qu’il continue de soutenir indéfectiblement. « Grimskunk et Groovy, on s’en sort bien parce qu’on est établis, mais je joue dans d’autres bands (Floating Widget, Sabbath Café, Voïvod, Xavier Caféïne, Galaxie, Aut’chose, avec Lucien Francoeur, etc.) que pas grand monde ne connaît et on rencontre des publics de 10-12 personnes» conclut  malheureusement le bassiste.

Constellation

Nous ne pouvons qu’être fiers de la résilience affichée par ces grands frères qui veillent au-delà de la survie de leur formation à rendre pérenne la constellation qu’ils ont aidée à bâtir. Un retour de son est nécessaire de notre part pour que toute cette expérience acquise ne demeure pas vaine et témoigne de notre capacité à nous montrer sous notre meilleur jour. Un souhait qui se trouvait peut-être déjà dans la transcendante Amphibien sur l’album Oryctérope (1998).

« À nous les profondeurs/Les répits et les jours meilleurs/Et j’entends ce que tu penses/Dans ce silence/L’indifférence n’a plus de sens ».

Encart : Pour ajouter à ce concert anniversaire, l’étiquette Slam Disques annonce que le catalogue principal des oeuvres de Groovy Aardvark en version « remastérisée » sera disponible sur les plateformes numériques dès le 12 avril ainsi que l’album Vacuum dans une première édition vinyle. Un incontournable pour les admirateurs de la première heure. Groovy Aardvark est de retour.

Vincent Peake en vrac

Et si Groovy Aardvark sortait un nouvel album de chansons originales, à quoi pourrait-on s’attendre ?

Je ferais ça moins compliqué. J’irai plus dans la simplicité. Dans mes débuts, j’étais tellement impliqué dans le prog, le fusion Jazz, Mahavishnu Orchestra, Zappa… J’aime toujours aujourd’hui, mais j’ai appris à aimer la musique plus simple. Un bon beat punk, ça fait la job. Je garderais ça plus épuré. Une bonne ligne mélodique avec quelque chose d’intéressant à dire. On a tendance à trop en mettre surtout quand on est jeune. On avait trop d’idées à la seconde et on voulait toutes les intégrer. Tu peux faire ce que tu veux, mais ce n’est pas tout le monde qui est prêt à accepter une chanson qui a autant d’info musicale. C’est trop de stock.

Qu’est-ce qui a marqué ton évolution musicale dans les dernières années ?

J’avais besoin de me ressourcer dans autre chose que le rock et ses dérivés. Je voulais retourner à la source. D’où vient la musique ? J’ai suivi le cours « Panorama de la musique du monde » à l’UDM comme étudiant libre. En partant des trois grands bastions de l’humanité (Afrique, Chine, Inde), j’ai fait le tour de la planète en un an. Découvrir toutes les musiques traditionnelles a été le plus beau cadeau que je me suis fait. C’est de la musique qui a été recueillie par des musicologues des années 10, 20, 30, 40… Sur le terrain on a enregistré les tribus, leurs rites de passage, les mariages, les funérailles, les fêtes et les récoltes. Ces gens ont pris la peine de faire le tour du monde pour mettre tout ça à notre disposition. C’est fantastique. Notre prof, José Évangelista, nous transmettait sa passion comme j’ai rarement vu quelqu’un le faire. À chaque cours, il nous amenait dans un voyage incroyable. C’est, entre autres, ce qui m’a amené à faire un voyage à Bali avec ma copine pour perfectionner mon art du gamelan balinais. Je me suis même fait faire un gansa balinais sur mesure là-bas, un instrument extrêmement rare.

(pour plus de détail : https://voir.ca/video/cinq-objets/2015/10/26/5-objets-inspirants-avec-vincent-peake/ et/ou https://www.youtube.com/watch?v=DSgojkhPOe8)

À propos de la chanson Amphibien

Mise en contexte : lors d’un concert au Grand prix de Trois-Rivières l’an passé, en intro de cette chanson dont il qualifiait l’ambiance d’accoustico-aquatique, Vincent Peake racontait au public : « Un jour, en haut du pont Jacques Cartier, je regardais le puissant Saint-Laurent et son courant dangereux. Je me disais qu’il y en a qui ont un désespoir tel qu’ils se « câlissent » en bas. Moi, j’ai ben trop la chienne pour faire une affaire de même. Je ne serais même pas capable de crisser le radio dans le bain. Je ne suis pas assez malheureux. Ça m’a inspiré cette chanson pour qu’une seule personne sur cette terre puisse se donner la chance de vivre une autre journée. Parce que, quoi qu’il arrive le soleil se lève le lendemain. »

Dans quelle circonstance as-tu écrit cette chanson  ?

La genèse vient du Pacifique, de l’eau. J’étais au Mexique. L’idée est venue plus par nécessité de raconter quelque chose que par génie. La guitare que j’avais là-bas se désaccordait tellement facilement que j’ai tout accordé en la en open chord.  De là est nés le riff principal et celui de Mi Loca  qui ont la même tonalité sur l’album Oryctérope. De là, la toune prend un sens plus spirituel. Ma guitare accordée comme une cithare, la note de base qui drone (ou bourdon en français) constamment et la mélodie qui change et nous amène ailleurs. Pour ce qui est du refrain, je suis parti de 3 p’tits chats, une toune populaire quand j’étais au primaire. J’ai utilisé des mots plus sombres pour que ça ne fasse pas kétaine. La toune prend un sens beaucoup plus grave sur une ligne de musique d’enfant. Je trouvais que cette dichotomie parlait beaucoup.

La musique au Québec en ce moment, qu’est-ce que t’en penses ?

Moi, je l’aime tellement. J’ai beaucoup d’amis qui font de la musique que j’adore. De plus en plus même. Je trouve que le niveau de musicalité et de qualité des groupes est à son plus fort présentement. Ceux qui me font tripper en ce moment, c’est Lubik, un groupe d’Abitibi qui fait du kilométrage débile pour une demi-heure de spectacle. Y’a Fuudge aussi, mais mon band préféré à vie, c’est Les hôtesses d’Hilaire. Ce sont nos meilleurs amis, acadiens et Jedi préférés. Ils représentent tout ce que j’aime dans la musique. Le côté ludique, l’humour, le prog. C’est le band parfait pour t’embarquer dans un voyage et élever ton niveau de conscience d’un cran. Ce qui devrait être le but de toute bonne musique. J’ai adhéré instantanément.

Martin Bureau au FIMAV : peindre sur les murs du son

La charge épormyable de Violett Pi

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La charge épormyable de Violett Pi

par Luc Drapeau

Le 5 avril prochain, VioleTT Pi alias Karl Gagnon et ses complices Sylvain Deschamps (bassiste), Maxime Drouin (batterie) et Daniel Baillargeon (guitare, machine), seront de passage à la microbrasserie, boutique et salon Le trou du diable pour l’une des dernières représentations de la tournée de l’album, Manifeste contre la Peur(2016).

Vous avez dit inclassable

Il y a deux embarras quand vient le temps de dresser le portrait d’un artiste qu’on range de facto dans la catégorie des inclassables. Le premier est d’accepter le verdict séance tenante, d’utiliser ce mot fourre-tout à toutes les sauces pour s’épargner du temps ; l’autre est de se lancer à corps perdu dans le détail des influences qui, plus souvent qu’autrement, au gré des analyses, créent une sorte d’identité multiforme, une créature rapiécée digne d’un Frankenstein qu’on cautionne de notre magnanime électricité : « It’s alive ! Sans nous, point de vivant ». Linkin park, Nirvana, Leloup, M, des phrasés qui évoquent un tel ou un autre, la liste est longue pour tenter de nommer les contours de celui qui se fait un devoir d’échapper à toutes catégories en maniant le verbe et les inventivités musicales avec beaucoup de poigne et de doigté pour arriver à destination : un lieu qui n’a pas son pareil dans le paysage musical québécois actuel.

Détonnant

Prenant ses aises dans un univers antinomique où se côtoie le fancy et le rough, le funky et la déprime, Violett Pi est la fleur qui fracture le bitume. Irrévérencieux, impudique, improbable, l’artiste s’empare de sujets troublants et impopulaires (suicide, mal-être, relation conflictuelle, violence) et nous amène, sous des dehors magnifiquement contrastés, à prendre acte du beau qui côtoie le « poqué » et le vulnérable. À l’ombre des habitudes sociétales où l’on se complaît à produire souvent plus de la même chose dans des perspectives court-termistes, là où les oreilles se font frileuse et là où les discours ont tendance à s’aseptiser, Gagnon et ses acolytes ne se gènent pas pour foutre des coups de pied dans la ruche, ébranlant au passage le réel qui s’étiole : « Et malgré le temps qui ne sait pas ce qui se passe/Je regarderai notre étoile brûler comme un arbre (Betsey Johnson – Manifeste contre la peur)) ».

S’affranchir de la peur

Calude Gravol, 9ième piste de l’album inspirée, pour le titre, de l’exploréen, cette langue inventée par le poète Claude Gauvreau, nous rappelle la liberté qui muait le personnage sa vie durant et sa tragique défenestration du 7 juillet 1971 : « Calude a des ailes au milieu de ses verbes/Calude a des ailes mais il ne sait pas voler ». À l’exemple de Mycroft Myxeudeim, personnage principal de la pièce La charge de l’orignal épormyable (Gauvreau, 1956), Violett Pi défonce les portes qui briment sa liberté d’être et de créer. Entre l’idéal projeté et l’aliénation témoignée dans les titres de cet album, nous sommes d’avis que ce manifeste musical corrosif définitivement bien ficelé sait nommer cette peur qui inhibe et engourdit la volonté de plus d’un : « Jolie peur/Je ne suis plus seul à te combattre/L’orage en fer de sang d’angoisse/a brulé sous le rire de ma folie/Jolie peur est morte dans mes bras (postlude – Manifeste contre la peur) ».

Voilà 63 ans, Claude Gauvreau dans La charge de l’orignal épormyable écrivait : « Il faut poser des actes d’une si complète audace, que même ceux qui les réprimeront devront admettre qu’un pouce de délivrance a été conquis par tous ». À méditer en allant voir le spectacle de Violett Pi le 5 avril prochain.

***

Complément d’article

Un peu plus de 3,141592654… question à Violett Pi

1- D’abord, pour une question de mise en contexte : peux-tu nous dire pourquoi tu as intitulé ton second album Manifeste contre la peur ?

Pour lutter contre la médiocrité.  Alain Deneault en parlerait mieux que moi.

2- Cette tournée se termine bientôt, est-ce que tu as déjà un nouveau projet prêt à mettre en chantier ?

Quelques trucs ici et la de commencer, mais c’est dur de créer de nouvelles choses avec l’impression que la montre est un Dieu tout puissant et que le calendrier est une ville nazie où il fait bon boire du vin de 5@7 heures.

3- Qu’est-ce qui prime dans ton processus de création ?

L’ennui…  Cet énorme ennui.

4- Dans quelle mesure Violett Pi est un personnage ?

Dans la mesure où monter sur une scène n’a rien de normal.

5- On te qualifie d’inclassable, mais souvent on évoque des noms comme Linkin Park, Nirvana, Leloup pour qualifier certains aspects de ton oeuvre. En général, trouves-tu qu’on donne trop d’importance aux influences qui ont donné corps à l’univers de l’artiste ?

C’est une arme puissante que de créer des réseaux de synonymes pour écarter ce qui dérange la messe. Je pense qu’il y a peu de gens qui écoutent l’album sérieusement sans regarder la pochette. L’esthétique du son et des images finit par prendre le dessus sur les réelles critiques qu’il pourrait y avoir.  Le fond est laissé de côté, en effet. On n’entend jamais parler de musique : on entend parler des artistes qui en font.

6- Dans Calude Gravol, tu évoques la mort tragique de Gauvreau. Tu parles aussi de Denis Vanier çà et là. Peux-tu nous parler un peu de l’influence qu’ont eue ces auteurs et la poésie sur ton écriture ?

Je me rappelle être allé à la bibliothèque de façon assez militaire pendant une semaine pour aller lire les correspondance de Gauvreau. Il y a dans ces deux personnes une énorme flamme qui brule de vérité. C’est la raison pourquoi ils sont cachés. Le feu brulerait le Québec entier si leur nom se trouvait dans la langue populaire. Plus le temps avance et plus je vois que le feu disparait.  Il suffit de regarder son four pour comprendre que le feu n’est plus le bienvenu. Il suffit de regarder Ricardo pour voir que Marco Pier White est trop bruyant pour les carottes du Québec. Denis Vanier et Claude Gauvreau, c’est le Québec qui part de lui-même et qui revient dans le monde avec une phrase.

7- Est-ce tu arrives à garder ton idéal dans un marché qui ne laisse pas beaucoup de place aux artistes marginaux ?  Plus largement, qu’est-ce que tu penses de la musique qui est réalisée au Québec présentement ?

Je n’écoute pas vraiment ce qui se fait au Québec. J’ai quelque personne que j’admire bcp dans leur démarche. Je me sens souvent comme la marionnette d’une intention extérieure. Je tends la main hors des mots, hors des notes, hors de moi et j’espère toujours trouver quelque chose comme l’inconfort ou l’inconnu. C’est dans le confortable que je me sent biaisé. C’est le confortable qui me met mal alaise.  C’est le confortable qui est irrévérencieux. Le confortable, ce n’est pas un divan, c’est le geste répété qui ne veut plus rien dire mais que l’on continue d’effectuer pour éviter d’avoir à inventer. Ce n’est même pas un réflexe ou un automatisme, c’est tout simplement le cancer des réelles intentions.

8 – Dans Postlude, tu conclues l’album en disant « Seul dans l’oubli/Tu sauras/Jolie peur/Je ne suis plus seul à te combattre/L’orage en fer de sang d’angoisse/a brulé sous le rire de ma folie/Jolie peur est morte dans mes bras ». Peux-tu dire que tu t’es affranchi de cette peur ? Dans et hors la musique ?

J’essaie tout les jours.

9- Étonnante pièce cachée après cette fermeture (un oeil de chat dans un jeep arc-en-ciel…). Ça me fait penser à cet extrait de texte que je t’ai envoyé de Denis Vanier : « La poésie est mon double criminel et en l’écrivant, j’invente d’autres excès dont nous pourrions abuser ». Cet excès, serait-ce un voeu pour ton prochain album, maintenant que « la peur est morte dans tes bras » ?

En effet, les clôtures que je couche deviennent des chemins et j’essaie de réinventer mon propre jeu dans des territoires de plus en plus vagues. C’est le défi du coureur qui est tellement loin et seul qu’on ne sait plus s’il fait partie de la course. J’espère sincèrement arriver à faire cet album sans retenue qui donnerait le vertige aux sentiments. Il me faudra encore 15 ans pour y arriver sans doute, mais l’évolution risque d’être intéressante à écouter.

Martin Bureau au FIMAV : peindre sur les murs du son

Stand-up tragique d’un écrivaine en résistance

Stand-up tragique d’une écrivaine en résistance

Stand-up tragique d’une écrivaine en résistance

par Luc Drapeau + encart

En se dotant d’un thème tel que Soif de savoir pour le 31e Salon du livre de Trois-Rivières, les organisateurs ne risquaient pas de se tromper, tant il est évident qu’on ne pourra reprocher à la grande famille des lettres de questionner son époque. Cependant, en cette ère que nous traversons, parsemée d’informations fast-food à la sauce fake news, il nous apparaît sain d’interroger le décorum, la complaisance et les distorsions cognitives qui donnent parfois un léger goût d’ersatz à cette soif de savoir. « C’est en observant les gens vivre qu’on a accès à leur vérité, nous confie Marjolaine Beauchamp. Il faut s’imprégner de l’expérience humaine. Ce n’est pas nécessairement ceux qui prennent le plus de place qui racontent les choses les plus véridiques », constate Marjolaine Beauchamp, écrivaine en résidence de cette 31e édition.

Écrivaine en résistance

Succédant à Biz pour l’édition de cette année, Marjolaine Beauchamp n’hésite pas depuis une dizaine d’années, par l’entremise de ses écrits poétiques et théâtraux, d’aller là où ça fait mal, là où la fierté des personnes, familles et communautés en prend un coup afin de décaper le vernis qui gomme la réalité de ceux dont on parle trop peu. «Je suis révoltée contre ceux qui ont du pouvoir et qui l’utilisent à mauvais escient, affirme la slameuse dont l’indignation concède une légère avance à l’empathie. C’est facile pour moi de me mettre à la place des gens parce que je les aime profondément.»

Une écriture de l’urgence

Impliquée dans son milieu, allergique aux faux-semblants et aux exercices de style ampoulés, Marjolaine se décrit comme une écrivaine d’instinct animée par l’urgence et l’immédiat. Sa démarche d’écriture lui permet d’aborder des zones inconfortables et des sujets impopulaires.  Que ce soit en mettant en scène la détresse et la solitude des mères dans la pièce M.I.L.F. publiée aux Éditions Somme toute (J’répondais pus au téléphone, y avait le monde dehors, mon monde en d’dans, pis les deux étaient pas mélangeables) ou en réfléchissant sur le tissu social qui s’effrite (Même dans les unités néonatales/Même dans les funérailles/Il faut avoir peur avec du style – Fourrer le feu, les Éditions de l’écrou), le verbe brut de Marjolaine atteint sa cible et ouvre le dialogue avec le public.

Stand-up tragique (Se lever devant le tragique)

À l’ombre des shows télés à l’heure de grande écoute, une volonté de dire avant de divertir semble prendre forme pour nommer un malaise pluriel. Les scènes marginales se multiplient et les genres littéraires osent embrasser l’époque que nous vivons. Poèmes sur Instagram, zine, vidéo poésie, hybridité des contenus, pour ne nommer que ces formes nouvelles, annoncent une effervescence qu’on n’attendait pas, selon Marjolaine Beauchamp. « La survie de n’importe quel élément culturel dépend de la génération qui suit. Les plus jeunes se décomplexent, shakent la poussière et c’est ce qui va garantir justement une génération qui réfléchit et qui prend parole », conclut la poète, mordante au grand coeur.

À l’instar de Nietzsche, qui disait que « L’artiste a le pouvoir de réveiller la force d’agir qui sommeille », nous ne pouvons que continuer à encourager la démarche de cette écrivaine qui sait si bien s’acquitter de ce rôle.

Pour l’encart : Après avoir remporté l’argent à la coupe du monde de slam en France, publié deux recueils aux Éditions de l’écrou, fait des incursions au théâtre où elle écrit et joue, assuré les premières parties de Richard Desjardins lors de la tournée L’Existoire en plus d’avoir mené divers autres projets, Marjolaine Beauchamp ne cesse de s’imposer comme l’une des plumes les plus lucides et les plus mordantes de sa génération.

Complément d’article sous forme de considérations libres

Le lendemain où nous apprenions la présence de Marjolaine Beauchamp au Salon du livre de Trois-Rivières, nous étions tous happés par son cri du coeur lancé sur les réseaux sociaux évoquant deux effondrements parallèles simultanés : celui de notre système d’éducation et son encadrement, dont nous constatons de jour en jour les ratés, et celui de la relation entre la slameuse et son fils, bousculée par les incongruités dudit système.

« Faire fitter un carré dans un cercle », critique Marjolaine fort à propos dans son texte pour illustrer la situation qu’elle traverse avec son fils, si complexe à circonscrire à l’ombre des aléas d’un « … système de performance, d’accomplissement, de mérite (…) comptable, mercantile, individualiste, intolérant ».

« Je crois au principe de l’institution, m’affirme-t-elle en entrevue, mais pas ce qu’il devient. Les orientations de ces institutions ne doivent pas être économiques. La priorité se doit d’être l’adaptation aux besoins de l’enfant. Pour qu’ultimement il puisse apprendre dans le meilleur de leur potentiel. Qu’on adapte nos interactions sur le fait qu’il n’y a pas qu’un format d’humain et qu’on ne soit pas que des statistiques ».

C’est à se demander si nos institutions ne se sont pas converties à la psychologie positive, version savante de la pensée positive qui a le vent en poupe depuis les années 90 dans les entreprises et plus largement dans le cours social qui soutient, sous certaines de ces écoles de pensée,  « que l’aveuglement volontaire est bénéfique sur le plan psychologique et social. (…) parce que dépourvue d’ornements, la réalité serait négative (L’empire de l’illusion, la mort de la culture et le triomphe du spectacle de Chris Hedges) ». Ce qui en amène plus d’un à prendre le blâme, à l’instar de  Marjolaine, et à partager des injonctions de type  « On se dit c’est sûrement nous le problème, c’est sûrement un problème d’adaptation ».

Selon cette croyance, pour éviter les troubles de l’âme, il faudrait enjoliver la réalité pour mieux la supporter et se doter de « mensonges existentiels » pour mieux s’y conformer. Or donc, si ce sont les illusions qui sauvent, on pourrait tout aussi bien dire, pour en revenir au texte ci-dessus, que les Fake news, les distorsions cognitives, se révèlent un facteur de réussite pour ceux qui ont bien appris à les contrôler, mais demeurent oh combien invalidantes pour ceux qui sont en recherche de réponses vraies.

« C’est incroyable le nombre de personnes qui vivent cette situation, poursuit l’autrice. Qui s’identifient à ce que je vis de près ou de loin. Si ce n’est pas dans votre famille immédiate, c’est alentour. Il y a quelque chose qui cloche présentement et on ne sait pas pourquoi c’est si silencieux, si intégré (comme une faillite personnelle), constate la slameuse, ça touche quelque chose de si précieux, de tellement important. On est sur le bord d’une grosse crise. La jeunesse est presque sacrifiée. Il y a plein d’habilités et de possibilités qui sont éteintes. Je suis contente qu’il y ait une discussion là-dessus. Autour de moi, j’entends des personnes qui n’ont pas l’habitude de prendre parole qui embrassent le mouvement et vont poser des gestes. Ça a beaucoup à voir avec l’empowerment. Je trouve ça beau de voir des femmes qui se défendent dans leur quotidien et qui expriment leur inquiétude ».

Martin Bureau au FIMAV : peindre sur les murs du son

Jean-Michel Blais : pour un FestiVoix introspectif

https://www.gazettemauricie.com/jean-michel-blais-pour-un-festivoix-introspectif/

Jean-Michel Blais : pour un Festivoix introspectif

par Luc Drapeau

Qu’on aime, qu’on n’aime pas, qu’on accourt vers la saveur du jour ou vers des artistes moins connus, moins usés ou moins portés aux nues, plusieurs des noms figurant dans la programmation diversifiée du Festivoix 2018 sauront vous faire passer un bon moment.

Il y a ces musiques…

Il y a ces musiques qu’on aime écouter quand on a envie de mélanger notre voix au grain feutré ou dynamique de celle des chanteurs et des chanteuses – souvent avec des résultats douteux cependant – en faisant la vaisselle ou toute autre activité de même acabit. Il y a ces musiques qu’on écoute pour les paroles qui nous donnent matière à pensées et à serments devant l’insoutenable. Il y a ces musiques qui électrifient tous les nerfs de notre corps et qui pulsent le sang dans nos veines pour que l’on rejoigne la fête. Il y a ces musiques qui offrent aux oreilles la pureté d’un accord et aux yeux la dextérité hors du commun d’un musicien ou d’une musicienne. Il y a ces musiques qui créent des paysages sonores, qui nous amènent à rêvasser tout haut, à sculpter dans les nuages et à lire dans les formes du monde pour y veiller l’indicible. C’est à cette catégorie de musiques que je m’attarderai dans le cadre du Festivoix de cette année à travers la personne de Jean-Michel Blais, pianiste mauricien qui fera partie du volet Les voix classiques le 7 juillet prochain.

Jean-Michel Blais

Après un premier album intitulé Il, qui a connu un succès critique en plus d’être classé parmi les dix meilleurs albums de 2016 par le magazine Time, le compositeur sortait Dans ma main, son nouvel opus, le 11 mai dernier. À n’en pas douter, le travail collaboratif qu’a effectué Jean-Michel Blais avec le réalisateur et musicien électro Mike Silver, alias CFCF, et qui a donné lieu à la création de l’album Cascades, a assurément bonifié la démarche de l’artiste sur son présent ouvrage.

Le jeu des comparaisons et l’obligation de nommer

Les étiquettes « classique », « avant-garde » ou « post-rock » servent souvent de fourre-tout visant à circonscrire des démarches qui s’évertuent à transcender les frontières entre les styles. Sans être typiquement classique, contemporaine ou ambiante, la musique de Jean-Michel Blais se veut libre, débordante des cadres et rebelle aux conventions dans lesquelles on pourrait être tenté de l’enfermer. Ainsi, sur divers aspects de l’oeuvre de Jean-Michel Blais jusqu’ici, le jeu des comparaisons force des rapprochements avec Yann Tiersen, Philip Glass ou Chilly Gonzales. À l’écoute de son précédent album, il paraît évident que la pièce Budapest rappelle la pianistique sautillante du copain Chilly sur certains titres de ces solos piano I et II. Certains argueront que certaines pièces proposent des « flashs » à la Einaudi, d’autre des « filtres » à la Hauschka ou à la Eluvium.

Voyager sur place

Peu importe, les influences de Jean-Michel Blais, sa polyvalence et sa maîtrise pianistique, conjuguées à son habileté à densifier le travail harmonique par le biais de l’électronique me font voyager dans les miennes. Parfois, certains mouvements me rappellent les égarements mélancoliques de l’Islandais Olafur Arnalds avec qui il partagera une scène du Festival de Jazz de Montréal à l’occasion d’un programme double cet été. Parfois aussi il me vient à l’esprit des ambiances que j’associe à Radiohead, des cadences qui me rappellent le compositeur allemand Nils Frahm ou des univers sonores qui ont des parentés avec l’insaisissable Britannique d’Origamibiro. Ce qui me fait dire au final que l’important, ce n’est pas la destination, mais le voyage : celui qui nous fait traverser toute une gamme d’émotions, d’expériences et de moments qui nous ont marqués.

Merci pour le voyage et bon festival !

Martin Bureau au FIMAV : peindre sur les murs du son

FIMAV – une programmation audacieuse depuis 1983

Une programmation audacieuse depuis 1983

FIMAV 2018 : audacieux depuis 1984

Par Luc Drapeau

Pour ces mélomanes aventureux avides d’expérimentation et pour ces irréductibles qui restent froids devant les programmations des festivals habituels qu’ils jugent trop prudents, le Festival international de musique actuelle de Victoriaville, qui se déroulera du 17 au 20 mai pour une 34e édition, se révèle l’endroit tout indiqué.

Avoir les idées larges

Il va de soi que vous ne vous rendez pas à un festival de ce genre pour vous trouver en terrain connu… et moins encore pour entendre une chanson qui a fait le top 10 des radios commerciales récemment. De là l’importance, si vous n’êtes pas un initié, d’avoir les idées larges et de vous montrer ouvert aux ambiguïtés sonores pour apprécier l’expérience. Car, oui, vous aurez parfois l’impression d’être dépassés par certaines prestations — je pense notamment à l’utilisation non orthodoxe de l’alto et de la voix chez la Suissesse Charlotte Hug — tout comme vous serez peut-être aussi métaphoriquement happé par un dix roues tonitruant en allant à la rencontre du duo des Japonaises déjantées de Afrirampo ou du trio « rentre-dedans » de Merzbow/Gustafsson/Pandi. Dans le large spectre couvert par le festival, il y a autant d’occasions d’être dépaysé qu’il y a d’artistes et de nations représentées (Suède, Russie, Japon, etc.) ; autant d’opportunités d’être désarçonné, de déborder du perpétuel trio guitare/batterie/basse, de même que des signatures rythmiques et de codes musicaux plus récurrents.

Ici comme ailleurs

Bien que de nombreux artistes qui ont participé au FIMAV au cours des 34 dernières années aient joui de solides réputations à l’international (John Zorn, Fred Frith, René Lussier, Anthony Braxton, etc.), ils demeurent assez peu connus dans l’espace populaire d’ici comme d’ailleurs. Tout comme il n’est pas rare d’entendre à propos des réalisateurs québécois « qu’ils s’illustrent dans les festivals internationaux alors qu’ils peinent ici à profiter d’un écran plus d’une semaine », force est d’admettre que nous connaissons bien peu les artistes qui font évoluer notre musique dans les circuits d’avant-garde. À cette enseigne, une partie de l’œuvre de Walter Boudreau, compositeur et chef d’orchestre québécois, est à l’honneur au FIMAV cette année avec un concert rétrospectif en deux temps intitulé De L’Infonie à la SMCQ (Société de musique contemporaine du Québec).

Masse critique

D’une ville à l’autre et au-delà de nos frontières, une masse critique amoureuse de la musique converge, passionnée et prête à se déplacer sur de longues distances pour assister à ce rendez-vous annuel prisé. En effet, des visiteurs des quatre coins des Amériques et d’Europe se rencontrent chaque année pour contribuer à la survie du festival et de ces musiques expérimentales qu’ils jugent culturellement nécessaires à l’ombre des temples consuméristes qui dominent en visibilité.

Si nous pouvons affirmer sans nous tromper que cette masse critique d’amateurs ne fera jamais le poids face à celle des festivals à vocations plus populaires, il n’en demeure pas moins que par capillarité, avec le concours de bénévoles passionnés (et avec un budget modeste), le FIMAV atteint ses objectifs.

À l’heure où la culture est appelée à se justifier à la moindre de ses manifestations, à changer de visage par souci de rentabilité, cela fait du bien de voir que le FIMAV persévère et signe en marge des courants dominants depuis 1984 avec une offre des plus marginales.

(Peut-être mettre dans l’encart ou laisser dans le texte)

Pour l’ensemble de ses spectacles, pour ses installations sonores dans l’espace public, ses expositions et ses courts métrages expérimentaux, le FIMAV représente une excellente occasion d’entendre des perspectives musicales qui vous étaient inconnues. Parmi la vingtaine d’artistes qui tiennent l’affiche, peut-être trouverez-vous ce dont vous avez besoin pour vous défriser, pour vous sortir des conventions qui encadrent l’offre musicale et redéfinir, du même coup, votre rapport à l’art.

Complément d’article (ajout à la version numérique)

(Spectacles vus l’an dernier et propositions)

Deux coups de cœur, un coup de foudre

La maison de disque montréalaise Constellation records qui héberge notamment des groupes et artistes tels que Godspeed You! Black Emperor, Esmerine, Do Make Say Think pour ne nommer que ceux-ci, m’ont fait connaître le détonnant Colin Stetson et son saxophone. Sachant que ce dernier venait au FIMAV en 2017 présenter son dernier disque Sorrow (celui-ci paru chez 52Hz-Juno records), une réinterprétation de la 3e symphonie de Henry Gorecki, l’une des œuvres les plus parlantes de notre siècle, chargée d’histoire et d’émotions, je ne pouvais qu’y être. La première partie, Colin Stetson en solo, valait déjà le prix du billet. Ce virtuose de la respiration circulaire et de l’utilisation atypique, voir brutale, de son instrument a fait trembler la terre, le sous-sol, et a sûrement contribué à déboucher tous les tuyaux de la ville par la force de la vibration pendant la vingtaine de minutes qu’a duré sa prestation. Il est à se demander s’il n’a pas été responsable malgré lui de la panne de courant majeure qui a interrompu le premier mouvement de Sorrow en plein milieu, dans un moment où la charge émotive était à son paroxysme (le mouvement dure 28 minutes). L’orage électrique (ou coup de foudre) qui s’est abattu sur le Colisée Desjardins nous a laissés sans aucun son pendant près d’une demi-heure, si bien que nous ne savions pas si le concert n’allait pas devoir être remis. Il va sans dire que les 11 musiciens, avec beaucoup de professionnalisme, ont repris le premier mouvement du début. « Un concert inoubliable », comme l’a affirmé Colin Stetson à la blague au public durant l’interruption.

Bent Knee

L’an passé, j’ai aussi eu le plaisir d’assister à une excellente performance du Groupe Bent Knee, originaire de Boston, qui offre une synthèse de rock progressif d’avant-garde à la Sleepytime Gorilla Museum, de Rock-in-Opposition à la Thinking Plague (d’ailleurs signé chez Cuneiform Record pour leur 3e album, tout comme ceux-ci) et d’accents jazz assurés par la puissante voix de Courtney Swain au clavier. Dans l’ensemble, les excellents musiciens aucunement frileux dans leur désir de repousser leur limite ont su être à la hauteur et davantage de ce qu’ils présentent sur disque. Je recommande les albums Say So et Shiny Eyed Babies. Le dernier, Land animal, sorti l’été passé m’a moins accroché cependant.

Métissage

Tout au cours de son histoire, le FIMAV a su ouvrir ses portes à tous les métissages entre styles musicaux et musiciens. Cette année encore, la programmation en fait foi. Si vous avez un faible pour les ensembles, je vous recommande l’artiste Taïwanaise Lan Tung qui a joint son Little Giant Chinese Chamber Orchestra à l’ensemble canadien Proliferasian (Vancouver). Au menu de ce spectacle, des instruments traditionnels orientaux côtoieront des instruments de facture classique.