Commotion cérébrale : pas seulement un problème sportif

Commotion cérébrale : pas seulement un problème sportif

Commotion cérébrale : pas seulement un problème sportif

Le 11 mai 2008, un dimanche à 7h00 du matin alors que je retourne au travail en enfourchant ma bicyclette après avoir profité d’un mois et demi de congé parental, j’étais loin de me douter que ce serait le début de la période la plus dure de ma vie.

Étant donné que je ne suis pas une vedette de hockey, que je ne profite pas de tribune  ou d’angle de caméra qui auraient permis d’analyser l’accident sous ses moindres coutures, d’avoir des reprises de l’impact qui auraient permis de supposer les séquelles possibles, je vais vous illustrer de façon humoristique ce qui m’est arrivé et ce qui s’en est suivi. Vous connaissez cette vieille blague du gars qui voulait entrer dans la police (la police s’est tassée et il est rentré dans le mur) ? Gardez-la en mémoire quelques instants.

Je roulais vers mon milieu de travail à vitesse normale et c’était plutôt tranquille un dimanche matin. Il n’y avait pas beaucoup de circulation. J’étais loin de me douter qu’un policier ouvrirait sa porte au moment où je passais et que j’irais valdinguer à une vingtaine de pieds de la voiture dans un état lamentable. La réactualisation de cette vieille blague en est que je ne voulais surtout pas rentrer dans la police que celle-ci ne s’est pas tassée, mais que j’ai pris un mur quand même… un mur d’hôpital que j’ai regardé durant plus de douze jours.

J’ignore à qui en est la faute : à moi qui aurais dû être plus vigilant ou à ce policier qui finissait son quart et qui n’a pas regardé dans son rétroviseur avant d’ouvrir sa portière ? Ce que je sais par contre, pour m’être informé, c’est que ce genre d’accident arrive relativement souvent, à l’heure de pointe la plupart du temps, et que nous ne sommes jamais assez prudents l’un comme l’autre.

Je suis bien heureux qu’un sport fortement médiatisé comme le hockey évoque de plus en plus les séquelles causées par les commotions cérébrales depuis quelques années. La conscientisation se fait toutefois à petits pas cependant, car la LNH est à la traîne encore des mesures prises dans le milieu du football secoué par des documentaires et reportages percutants, ainsi que par des recours collectifs qui se font de plus en plus nombreux par d’anciens joueurs davantage intéressés maintenant que les séquelles se confirment tristement à l’épreuve du temps : Alzheimer, Parkinson, etc.

L’impact d’une commotion cérébrale

On en parle de plus en plus et c’est très bien. Ce que je déplore par contre, c’est qu’en dernière analyse on n’a pas le même angle de vue quand cela ne concerne pas une vedette. Le cas de Crosby émeut toute la planète hockey et ça devient pratiquement une question nationale. Par contre, quand il s’agit d’un joueur marginal comme de Andrew Shaw, qui en a fait une en tirée de rideau des séries éliminatoires après une autre à la mi-décembre, c’est rapidement oublié et ça n’ébranle pas les colonnes du temple du hockey et la machine à imprimer des billets qui a la mémoire courte.

Pour être tout à fait franc et tout à fait honnête, le vide que laisserait le départ de Crosby collectivement serait plus difficile à encaisser que l’individualisation de 20 commotions cérébrales de joueur de 3e ou 4e trio. La ligue ne le dira pas haut et fort, mais le pensera certainement. Crosby n’est pas interchangeable. Par contre, l’impact d’une autre commotion pour Andrew Shaw, pour un joueur plus marginal encore ou pour un athlète amateur aura de l’incidence seulement quand elles s’accumuleront et qu’aux poids nous serons appelés à faire la part des choses. C’est cynique, mais n’est-ce pas l’essence de la business de pouvoir interchanger à qui mieux mieux ces éléments qui ne sont pas de première nécessité pour renforcer sa base ? L’histoire retiendra les quelques centaines de parties manquées par Lindros pour cause de commotion cérébrale, pas celles de Guillaume Latendresse malheureusement qui a montré tout autant de courage en renonçant à des chèques de paie qu’il ne reverra jamais aussi généreux.

Le hockey est une business et c’est difficile d’en changer, même si on se dit compatissant. C’est la pression du monde du sport. Je ne suis pas un amateur de combat extrême, loin de là, mais je suis persuadé que l’état de George Saint-Pierre lors de son dernier combat était intimement lié à une commotion cérébrale. J’ai particulièrement été frappé par l’attitude cavalière de Dana White (Président de l’UFC) qui mettait de la pression sur celui-ci pour l’amener en conférence de presse d’après combat. L’état de GSP était lamentable, mais Money Talk, la machine à billets continue à imprimer. Au final, avec un type comme White, on a eu droit à la vérité crue, pas à ces larmes de crocodile dont certains autres usent pour feindre la compassion.

Je regrette ce qui arrive à Sydney Crosby, mais je ne m’en fais évidemment pas pour lui s’il devait renoncer au hockey, à tout le moins monétairement parlant. Il aurait droit aux meilleurs soins et à une assurance conséquente que la majorité d’entre nous n’aura jamais. Je m’en fais davantage pour ces abonnés des troisièmes et quatrièmes trios qui, écartelés par la pression de la performance entre un poste permanent et une place dans la ligue américaine de hockey, auront tout intérêt à masquer les symptômes de leur commotion cérébrale et des effets secondaires qui touchent invariablement l’entourage et la famille. La peur de ne plus revoir un salaire aussi privilégié et des soutiens (préparateur et thérapeute sportif, médecin et autres) aux petits oignons avec eux se révélera sans doute fondée au moment où il devront renoncer à ce qui les a passionnés depuis qu’ils sont tout petits. Une remise en question douloureuse et rien d’aussi grand et passionnant pour l’ensemble d’entre eux dans l’avenir, il va sans dire. Certains auront la chance de continuer à oeuvrer dans le milieu du hockey, mais ça ne sera jamais pareil.

De la chance dans ma malchance

Pour ma part, ce qui a été bien dans mon accident, si on peut le voir comme positif, ça va vous paraître absurde, mais c’est que je roulais à côté d’un poste de police quand c’est arrivé. Je pouvais donc profiter d’une assistance rapide, d’un arbitre qui pouvait prononcer la fin du jeu. À partir de là, je n’ai pas vu grand chose parce que j’ai perdu connaissance, mais un rapport était disponible, ce qui est rarement le cas pour les traumatisés crânien. Certains se relèvent, mais rien n’atteste de l’accident. Si vous pouvez marcher, on vous donne quelques pilules et on vous dit de vous reposer. Parfois, et ce n’est pas la faute du médecin, on ne peut pas vous aider. Le temps et votre famille seront vos seuls alliés. On ne peut qu’attester la commotion, vous donner un billet pour votre employeur, mais ce sera tout.

Et bien moi, chanceux dans ma malchance, absurde encore si je le peux, j’ai été frappé par une voiture. J’étais dans le jeu et non hors de celui-ci. On pouvait attester de ma pénalité ou de mon indemnité, produire un rapport de l’accident pour être plus précis. Je pouvais donc profiter d’un remplacement de salaire par la SAAQ, ce qui m’a permis de me remettre à la maison pendant neuf mois après mes douze jours passés à l’hôpital.

Était-ce assez ? Je vous répondrais que non, mais c’était mieux que pour de nombreux autres. Imaginez donc ce que ce serait pour quelqu’un qui ne profite pas de remplacement de salaire pour se remettre, qui doit continuer le travail comme ce joueur de quatrième trio, qui ne veut surtout pas retourner dans la ligue américaine à une fraction infinitésimale du prix, en inquiétant sans doute ses proches et en s’handicapant probablement des effets de sa commotion cérébrale à plus long terme.

Ce qu’on oublie souvent de dire, c’est qu’il faut préparer et réparer sa vie après tout ça. Il n’y a pas que des séquelles physiques : il y en a davantage qui sont psychologiques. Parfois, ceux qui ont eu des commotions cérébrales semblent bien à l’extérieur, mais ils ont littéralement des montagnes russes émotionnelles à l’intérieur.

Il est nécessaire de dire que toutes les commotions ne peuvent être traitées de la même manière. Il y a bien sûr les symptômes habituels comme les maux de tête constants et cette difficulté inhérente à supporter la lumière qui affecte à différent degré, mais il y a aussi des déséquilibres liés à l’oreille interne, au vestibulaire et autres, en plus des impacts plus ciblés qui affectent le siège de l’impulsivité.

Je me souviens personnellement que, lorsque je suis sorti de l’hôpital, je ne pouvais pas marcher et parler en même temps sans tanguer, sortir du trottoir, ou que je tombais simplement comme si j’avais abusé du bon vin. Après une commotion cérébrale, le cerveau a besoin de repos, doit procéder par étape. Il faut, selon mon expérience, éviter tout ce qui impose de faire plusieurs tâches en même temps, ce qui se révèle plutôt difficile étant donné ce que la vie active nous demande.

Aller chercher de l’aide

En raison de deux hématomes sous-duraux, d’une hémorragie sous-arachnoïdale qui aurait pu être dangereuse, voire fatale, et de la perte d’odorat consécutive à ma commotion cérébrale, je considère avoir mis au moins quatre ans à me rétablir. J’entends par là reprendre confiance en mes moyens et en ma mémoire, guérir de mes blessures physiques et morales, car ça ne guérit pas tout seul. Il faut faire énormément d’introspection, recoller des morceaux de notre vie.

Je n’oublierai jamais que, la première fois que ma copine est venue me rendre visite à l’hôpital avec ma petite fille le jour même, je n’ai même pas réagi quand elle l’a déposée sur moi. L’affect plat, je n’étais plus moi-même, je n’en avais rien à faire. Les mois ont passé, j’étais prisonnier de moi-même. J’avais la mèche courte, j’étais impulsif. Heureusement, je n’ai rien fait de mal. Il n’est rien arrivé de fâcheux. J’étais bien entouré, soutenu par des gens qui savaient que je pourrais redevenir celui que j’étais. Tous n’ont pas cette chance. On le sait pour ceux qui s’intéressent au sport au-delà du jeu en lui-même que le phénomène des commotions cérébrales n’est pas étranger à la violence, à l’alcoolisme et au suicide de certains athlètes. Si j’ai pu être dans un tel état, que la seule chose que je pouvais me permettre de faire c’était d’ignorer ma fille, ce que j’avais de plus précieux, je me dis qu’on n’est pas loin de voir déraper un bon nombre d’autres choses qu’il ne faut pas prendre à la légère.

Mon conseil pour les traumatisés crâniens : ne vous isolez pas même si tout vous incline à le faire et aller chercher de l’aide. Je suis certain que les associations québécoises des traumatisés crâniens ou association des traumatisés cranio-cérébraux de votre région pourront vous diriger en ce sens.

Ne prenez pas à la légère les incidents impliquant un choc au niveau de la tête : les traumatismes crâniens causent un mal insidieux et invisible et ont un impact au niveau physique, mais aussi au niveau intellectuel, psychologique, personnel, professionnel et social.

Je suis d’avis que des interventions devraient être effectuées pour éviter d’échapper des personnes affectées dans les mailles du filet, pour sensibiliser l’entourage aux impacts de cette problématique et mieux arrimer les différents services offerts aux personnes atteintes.

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