Jambinai – Dissonance spirituelle

Jambinai – Dissonance spirituelle

Dissonance spirituelle

A hermitage de Jambinai

Je découvre cet album de Jambinai avec six mois de retard, mais c’est franchement mon coup de coeur de ce début d’année. Ce groupe de post-rock sud-coréen qui intègre des instruments traditionnels à sa facture très actuelle me scie littéralement les deux jambes. Le groupe a originalement trois membres, mais une formation plus étendue les a rejoint pour l’album. Pour tous ceux qui sont admirateurs de post-rock (catégorie élastique cela dit) comme moi, mais qui ont parfois l’impression d’avoir droit à une armée de clones de Godspeed You! Black Empereur, Mono et autres, voilà que Jambinai revoit la structure et propose une signature qui, en demeurant fort à propos au style, n’hésite pas à déborder ces frontières.

Certaines fois, ce que je reproche à de nombreux groupes, c’est d’introduire des instruments exotiques, orientaux sans trop innover, en restant dans les limites des modèles habituels plutôt stéréotypés de la culture dont ils sont issus. Parfois, on standardise pour rejoindre de plus grandes clientèles. C’est ce qui fait en sorte que plus souvent qu’autrement, lorsque que vous allez dans un resto asiatique, vous avez droit à de la pop mainstream en musique de fond plus adaptée à vos oreilles, pareillement pour des plats plus adaptés à vos papilles occidentales. Exit donc la dissonance plus apparentée à la culture orientale. 

Dans le cas de cet album, nous avons un mariage tout à fait réussi entre les instruments traditionnels (haegum ou erhu, geomungo et autres) qui gardent leur identité tout en innovant dans un style où on n’était pas habitué de les entendre à côté du fondamental duo guitare/batterie qui y gagne tout. 

A hermitage en huit chansons

Wardrobe lance le bal (sans jeu de mots) et c’est le cas de le dire avec emphase. La ligne des percussions très agressive appuyée par le geomungo donne le ton. La ligne rythmique est vite rattrapée par l’ensemble des lignes mélodiques plus aériennes. Nous avons alors droit à un dialogue plus large qui s’enrichit d’éléments vocaux et sonores très convaincants.

Echo of Création : La seconde piste vient nous rappeler que l’accalmie de la fin de la première chanson est terminée, qu’on viendra creuser plus profondément la structure qu’on a commencé à construire. 

For Everything that You Lost : Nous entrons dans des terres plus calmes, dans des terrains plus introspectifs. Les montées en corps du erhu (instrument à deux cordes chinois) avec la section rythmique n’en sont que plus magnifiques plus la chanson progresse.

Abyss : Comme je le fais toujours rendu au milieu d’un album aussi prometteur, je me demande toujours si le reste tient promesse. Au lieu de répéter ce qui marche et de risquer de nous lasser, c’est là véritablement que Jambinai a gagné mon assentiment en variant ses effets tout en restant cohérent. D’abord déstabilisé, émotion qui est normale, je me dis : « Quessé  ça ? », D’un « pas sûr » devant la nouveauté, ça n’a pas pris trop longtemps avant que je trouve à dire « c’est génial ». On entre dans une autre phase, une prise de parole plutôt affirmée, plutôt violente. Je ne comprends pas le sud-coréen, mais j’embarque à fond en espérant en dernière analyse qu’on ne parle pas de torture ou d’un truc dur à admettre – comme une ode à Kim Jong-Un, ce voisin indésirable des Sud-Coréen de Jambinai. Je ne croirais pas. Le ton de l’album n’indique pas ça. Nous sommes plutôt entre le calme recherché par l’ermite et le bruit ou les rumeurs du monde environnant. Cette chanson nous donne l’impression qu’on assiste à un manifeste, un slam, à tout le moins un truc très engagé. La cadence rythmique de la deuxième partie et les plaintes de l’erhu ne nous laissent pas indifférents. Je suis sur le cul. Le choix des chansons et le canevas de l’album me satisfont amplement. 

Deus benedicat tibi ou « Dieu vous bénisse » en latin, commence par une cérémonie toute sobre et finit dans un chaos sans nom. Près de la dissonance des cérémonies bouddhistes. L’occasion de lutter contre les distractions de ce monde pour trouver la sérénité.

The Mountain : Reprend des thèmes laissés dans les précédentes chansons. On sent qu’on est dans un large environnement, d’où le nom The Mountain. La section rythmique reprend du service et s’ajoute à l’évocation qui a toutes les apparences d’un pèlerinage à travers l’écho qui entoure l’ermite. L’ensemble s’accélère et revient à ses origines sans cesse.

Naburak : Nous ramène aux énergies du début plus brutes, plus intenses.

They Keep Silence : Ces deux dernières chansons ont en commun de réintroduire des éléments qu’on trouvait ça et là dans les deux premières chansons au niveau de l’ambiance, mais elle les diversifie et les complémente.

Pour moi, tout cela fait un champ lexical sonore tout à fait intégré et intégrant. Bref, pour faire court, c’est brillant, bien structuré. Le dosage est toujours approprié selon moi. Nous avons autant d’affirmation que d’introspection. Rares sont les oeuvres à atteindre un équilibre entre ces deux choses et à le faire aussi bien. Enfin, c’est une opinion, chaque oreille discrimine à sa façon.

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