Une programmation audacieuse depuis 1983

FIMAV 2018 : audacieux depuis 1984

Par Luc Drapeau

Pour ces mélomanes aventureux avides d’expérimentation et pour ces irréductibles qui restent froids devant les programmations des festivals habituels qu’ils jugent trop prudents, le Festival international de musique actuelle de Victoriaville, qui se déroulera du 17 au 20 mai pour une 34e édition, se révèle l’endroit tout indiqué.

Avoir les idées larges

Il va de soi que vous ne vous rendez pas à un festival de ce genre pour vous trouver en terrain connu… et moins encore pour entendre une chanson qui a fait le top 10 des radios commerciales récemment. De là l’importance, si vous n’êtes pas un initié, d’avoir les idées larges et de vous montrer ouvert aux ambiguïtés sonores pour apprécier l’expérience. Car, oui, vous aurez parfois l’impression d’être dépassés par certaines prestations — je pense notamment à l’utilisation non orthodoxe de l’alto et de la voix chez la Suissesse Charlotte Hug — tout comme vous serez peut-être aussi métaphoriquement happé par un dix roues tonitruant en allant à la rencontre du duo des Japonaises déjantées de Afrirampo ou du trio « rentre-dedans » de Merzbow/Gustafsson/Pandi. Dans le large spectre couvert par le festival, il y a autant d’occasions d’être dépaysé qu’il y a d’artistes et de nations représentées (Suède, Russie, Japon, etc.) ; autant d’opportunités d’être désarçonné, de déborder du perpétuel trio guitare/batterie/basse, de même que des signatures rythmiques et de codes musicaux plus récurrents.

Ici comme ailleurs

Bien que de nombreux artistes qui ont participé au FIMAV au cours des 34 dernières années aient joui de solides réputations à l’international (John Zorn, Fred Frith, René Lussier, Anthony Braxton, etc.), ils demeurent assez peu connus dans l’espace populaire d’ici comme d’ailleurs. Tout comme il n’est pas rare d’entendre à propos des réalisateurs québécois « qu’ils s’illustrent dans les festivals internationaux alors qu’ils peinent ici à profiter d’un écran plus d’une semaine », force est d’admettre que nous connaissons bien peu les artistes qui font évoluer notre musique dans les circuits d’avant-garde. À cette enseigne, une partie de l’œuvre de Walter Boudreau, compositeur et chef d’orchestre québécois, est à l’honneur au FIMAV cette année avec un concert rétrospectif en deux temps intitulé De L’Infonie à la SMCQ (Société de musique contemporaine du Québec).

Masse critique

D’une ville à l’autre et au-delà de nos frontières, une masse critique amoureuse de la musique converge, passionnée et prête à se déplacer sur de longues distances pour assister à ce rendez-vous annuel prisé. En effet, des visiteurs des quatre coins des Amériques et d’Europe se rencontrent chaque année pour contribuer à la survie du festival et de ces musiques expérimentales qu’ils jugent culturellement nécessaires à l’ombre des temples consuméristes qui dominent en visibilité.

Si nous pouvons affirmer sans nous tromper que cette masse critique d’amateurs ne fera jamais le poids face à celle des festivals à vocations plus populaires, il n’en demeure pas moins que par capillarité, avec le concours de bénévoles passionnés (et avec un budget modeste), le FIMAV atteint ses objectifs.

À l’heure où la culture est appelée à se justifier à la moindre de ses manifestations, à changer de visage par souci de rentabilité, cela fait du bien de voir que le FIMAV persévère et signe en marge des courants dominants depuis 1984 avec une offre des plus marginales.

(Peut-être mettre dans l’encart ou laisser dans le texte)

Pour l’ensemble de ses spectacles, pour ses installations sonores dans l’espace public, ses expositions et ses courts métrages expérimentaux, le FIMAV représente une excellente occasion d’entendre des perspectives musicales qui vous étaient inconnues. Parmi la vingtaine d’artistes qui tiennent l’affiche, peut-être trouverez-vous ce dont vous avez besoin pour vous défriser, pour vous sortir des conventions qui encadrent l’offre musicale et redéfinir, du même coup, votre rapport à l’art.

Complément d’article (ajout à la version numérique)

(Spectacles vus l’an dernier et propositions)

Deux coups de cœur, un coup de foudre

La maison de disque montréalaise Constellation records qui héberge notamment des groupes et artistes tels que Godspeed You! Black Emperor, Esmerine, Do Make Say Think pour ne nommer que ceux-ci, m’ont fait connaître le détonnant Colin Stetson et son saxophone. Sachant que ce dernier venait au FIMAV en 2017 présenter son dernier disque Sorrow (celui-ci paru chez 52Hz-Juno records), une réinterprétation de la 3e symphonie de Henry Gorecki, l’une des œuvres les plus parlantes de notre siècle, chargée d’histoire et d’émotions, je ne pouvais qu’y être. La première partie, Colin Stetson en solo, valait déjà le prix du billet. Ce virtuose de la respiration circulaire et de l’utilisation atypique, voir brutale, de son instrument a fait trembler la terre, le sous-sol, et a sûrement contribué à déboucher tous les tuyaux de la ville par la force de la vibration pendant la vingtaine de minutes qu’a duré sa prestation. Il est à se demander s’il n’a pas été responsable malgré lui de la panne de courant majeure qui a interrompu le premier mouvement de Sorrow en plein milieu, dans un moment où la charge émotive était à son paroxysme (le mouvement dure 28 minutes). L’orage électrique (ou coup de foudre) qui s’est abattu sur le Colisée Desjardins nous a laissés sans aucun son pendant près d’une demi-heure, si bien que nous ne savions pas si le concert n’allait pas devoir être remis. Il va sans dire que les 11 musiciens, avec beaucoup de professionnalisme, ont repris le premier mouvement du début. « Un concert inoubliable », comme l’a affirmé Colin Stetson à la blague au public durant l’interruption.

Bent Knee

L’an passé, j’ai aussi eu le plaisir d’assister à une excellente performance du Groupe Bent Knee, originaire de Boston, qui offre une synthèse de rock progressif d’avant-garde à la Sleepytime Gorilla Museum, de Rock-in-Opposition à la Thinking Plague (d’ailleurs signé chez Cuneiform Record pour leur 3e album, tout comme ceux-ci) et d’accents jazz assurés par la puissante voix de Courtney Swain au clavier. Dans l’ensemble, les excellents musiciens aucunement frileux dans leur désir de repousser leur limite ont su être à la hauteur et davantage de ce qu’ils présentent sur disque. Je recommande les albums Say So et Shiny Eyed Babies. Le dernier, Land animal, sorti l’été passé m’a moins accroché cependant.

Métissage

Tout au cours de son histoire, le FIMAV a su ouvrir ses portes à tous les métissages entre styles musicaux et musiciens. Cette année encore, la programmation en fait foi. Si vous avez un faible pour les ensembles, je vous recommande l’artiste Taïwanaise Lan Tung qui a joint son Little Giant Chinese Chamber Orchestra à l’ensemble canadien Proliferasian (Vancouver). Au menu de ce spectacle, des instruments traditionnels orientaux côtoieront des instruments de facture classique.