Stand-up tragique d’une écrivaine en résistance

Stand-up tragique d’une écrivaine en résistance

par Luc Drapeau + encart

En se dotant d’un thème tel que Soif de savoir pour le 31e Salon du livre de Trois-Rivières, les organisateurs ne risquaient pas de se tromper, tant il est évident qu’on ne pourra reprocher à la grande famille des lettres de questionner son époque. Cependant, en cette ère que nous traversons, parsemée d’informations fast-food à la sauce fake news, il nous apparaît sain d’interroger le décorum, la complaisance et les distorsions cognitives qui donnent parfois un léger goût d’ersatz à cette soif de savoir. « C’est en observant les gens vivre qu’on a accès à leur vérité, nous confie Marjolaine Beauchamp. Il faut s’imprégner de l’expérience humaine. Ce n’est pas nécessairement ceux qui prennent le plus de place qui racontent les choses les plus véridiques », constate Marjolaine Beauchamp, écrivaine en résidence de cette 31e édition.

Écrivaine en résistance

Succédant à Biz pour l’édition de cette année, Marjolaine Beauchamp n’hésite pas depuis une dizaine d’années, par l’entremise de ses écrits poétiques et théâtraux, d’aller là où ça fait mal, là où la fierté des personnes, familles et communautés en prend un coup afin de décaper le vernis qui gomme la réalité de ceux dont on parle trop peu. «Je suis révoltée contre ceux qui ont du pouvoir et qui l’utilisent à mauvais escient, affirme la slameuse dont l’indignation concède une légère avance à l’empathie. C’est facile pour moi de me mettre à la place des gens parce que je les aime profondément.»

Une écriture de l’urgence

Impliquée dans son milieu, allergique aux faux-semblants et aux exercices de style ampoulés, Marjolaine se décrit comme une écrivaine d’instinct animée par l’urgence et l’immédiat. Sa démarche d’écriture lui permet d’aborder des zones inconfortables et des sujets impopulaires.  Que ce soit en mettant en scène la détresse et la solitude des mères dans la pièce M.I.L.F. publiée aux Éditions Somme toute (J’répondais pus au téléphone, y avait le monde dehors, mon monde en d’dans, pis les deux étaient pas mélangeables) ou en réfléchissant sur le tissu social qui s’effrite (Même dans les unités néonatales/Même dans les funérailles/Il faut avoir peur avec du style – Fourrer le feu, les Éditions de l’écrou), le verbe brut de Marjolaine atteint sa cible et ouvre le dialogue avec le public.

Stand-up tragique (Se lever devant le tragique)

À l’ombre des shows télés à l’heure de grande écoute, une volonté de dire avant de divertir semble prendre forme pour nommer un malaise pluriel. Les scènes marginales se multiplient et les genres littéraires osent embrasser l’époque que nous vivons. Poèmes sur Instagram, zine, vidéo poésie, hybridité des contenus, pour ne nommer que ces formes nouvelles, annoncent une effervescence qu’on n’attendait pas, selon Marjolaine Beauchamp. « La survie de n’importe quel élément culturel dépend de la génération qui suit. Les plus jeunes se décomplexent, shakent la poussière et c’est ce qui va garantir justement une génération qui réfléchit et qui prend parole », conclut la poète, mordante au grand coeur.

À l’instar de Nietzsche, qui disait que « L’artiste a le pouvoir de réveiller la force d’agir qui sommeille », nous ne pouvons que continuer à encourager la démarche de cette écrivaine qui sait si bien s’acquitter de ce rôle.

Pour l’encart : Après avoir remporté l’argent à la coupe du monde de slam en France, publié deux recueils aux Éditions de l’écrou, fait des incursions au théâtre où elle écrit et joue, assuré les premières parties de Richard Desjardins lors de la tournée L’Existoire en plus d’avoir mené divers autres projets, Marjolaine Beauchamp ne cesse de s’imposer comme l’une des plumes les plus lucides et les plus mordantes de sa génération.

Complément d’article sous forme de considérations libres

Le lendemain où nous apprenions la présence de Marjolaine Beauchamp au Salon du livre de Trois-Rivières, nous étions tous happés par son cri du coeur lancé sur les réseaux sociaux évoquant deux effondrements parallèles simultanés : celui de notre système d’éducation et son encadrement, dont nous constatons de jour en jour les ratés, et celui de la relation entre la slameuse et son fils, bousculée par les incongruités dudit système.

« Faire fitter un carré dans un cercle », critique Marjolaine fort à propos dans son texte pour illustrer la situation qu’elle traverse avec son fils, si complexe à circonscrire à l’ombre des aléas d’un « … système de performance, d’accomplissement, de mérite (…) comptable, mercantile, individualiste, intolérant ».

« Je crois au principe de l’institution, m’affirme-t-elle en entrevue, mais pas ce qu’il devient. Les orientations de ces institutions ne doivent pas être économiques. La priorité se doit d’être l’adaptation aux besoins de l’enfant. Pour qu’ultimement il puisse apprendre dans le meilleur de leur potentiel. Qu’on adapte nos interactions sur le fait qu’il n’y a pas qu’un format d’humain et qu’on ne soit pas que des statistiques ».

C’est à se demander si nos institutions ne se sont pas converties à la psychologie positive, version savante de la pensée positive qui a le vent en poupe depuis les années 90 dans les entreprises et plus largement dans le cours social qui soutient, sous certaines de ces écoles de pensée,  « que l’aveuglement volontaire est bénéfique sur le plan psychologique et social. (…) parce que dépourvue d’ornements, la réalité serait négative (L’empire de l’illusion, la mort de la culture et le triomphe du spectacle de Chris Hedges) ». Ce qui en amène plus d’un à prendre le blâme, à l’instar de  Marjolaine, et à partager des injonctions de type  « On se dit c’est sûrement nous le problème, c’est sûrement un problème d’adaptation ».

Selon cette croyance, pour éviter les troubles de l’âme, il faudrait enjoliver la réalité pour mieux la supporter et se doter de « mensonges existentiels » pour mieux s’y conformer. Or donc, si ce sont les illusions qui sauvent, on pourrait tout aussi bien dire, pour en revenir au texte ci-dessus, que les Fake news, les distorsions cognitives, se révèlent un facteur de réussite pour ceux qui ont bien appris à les contrôler, mais demeurent oh combien invalidantes pour ceux qui sont en recherche de réponses vraies.

« C’est incroyable le nombre de personnes qui vivent cette situation, poursuit l’autrice. Qui s’identifient à ce que je vis de près ou de loin. Si ce n’est pas dans votre famille immédiate, c’est alentour. Il y a quelque chose qui cloche présentement et on ne sait pas pourquoi c’est si silencieux, si intégré (comme une faillite personnelle), constate la slameuse, ça touche quelque chose de si précieux, de tellement important. On est sur le bord d’une grosse crise. La jeunesse est presque sacrifiée. Il y a plein d’habilités et de possibilités qui sont éteintes. Je suis contente qu’il y ait une discussion là-dessus. Autour de moi, j’entends des personnes qui n’ont pas l’habitude de prendre parole qui embrassent le mouvement et vont poser des gestes. Ça a beaucoup à voir avec l’empowerment. Je trouve ça beau de voir des femmes qui se défendent dans leur quotidien et qui expriment leur inquiétude ».